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  • Writer's pictureC4 Adventures

Chevauchée sibérienne

Né au Vietnam il y a plus de 10 ans sous l’impulsion de l’ancien légionnaire David Minetti, C4 Adventures se définit comme un fournisseur d’aventures. Aujourd’hui basée à Phnom Penh, l’entreprise organise des séjours au Cambodge et des aventures dans le monde entier. Voici le récit de notre première expédition en Sibérie.


La connexion n’est pas si bonne, il y a un léger décalage, je lui demande quand même de répéter : « Le Lac Baïkal, tu m’as entendu ? ». Oui, j’ai bien entendu, David veut partir en Sibérie avec nos clients les plus fidèles. « J’ai trouvé un ranch à Lystvianka. En fonction de la saison, ce sera à cheval ou en traîneau ». Moi, c’est Jean-Benoît Lasselin, cela fait plus de 5 ans que je suis David sur tous les terrains. Derrière mon ordinateur à Phnom Penh au Cambodge, j’écoute mon associé dérouler son idée. Depuis l’Afrique de l’Est, il a déjà tout préparé, il avait du temps ce week-end, entre deux missions de conseil : « En Septembre, il va faire froid. En Mars, encore plus froid. Les participants que j’ai déjà contactés sont chauds pour Septembre ». Etre chaud pour avoir froid, tout un concept.


David a beaucoup voyagé, que ce soit avec la Légion Etrangère ou dans le cadre de sa carrière de sportif de haut niveau. Après des années au service de la France, il s’envole pour l’Asie du Sud pour réaliser l’un de ses rêves : créer son dojo et enseigner la boxe. Son réseau de salles installé, David propose à ses élèves des week-ends dans les jungles du Vietnam. Le succès est immédiat. C4 Adventures devient une entité unique en son genre, dans une région où l’activité aventure est encore méconnue. David voyage beaucoup dans le cadre de ses missions de conseil et me propose donc de prendre les rênes d’un bureau à Phnom Penh qui engloberait toute l’activité régionale, puis mondiale sur le moyen terme.


Cela fait plus de 18 mois que mon associé enchaîne les allers-retours avec l’Afrique de l’Est. Il souhaite monter une expédition pour nos meilleurs participants, afin de tester les habitués des aventures tropicales dans un climat drastiquement différent. La Sibérie n’est pas si loin de l’Asie du Sud-Est grâce à un vol direct Bangkok-Irkoustk. David entre en contact avec un ranch au bord du lac Baïkal. La conversation aboutit rapidement : ce sera la rencontre de deux mondes pour un parcours de 5 jours dans le parc national de Baïkal. D’un côté, des aventuriers vivants toute l’année en Asie du Sud-Est, aguerris par des années d’aventures aux côtés d’un spécialiste de la survie en climat tropical, de l’autre, des cavaliers de taïga, affutés par le froid sibérien et l’isolement qu’impose leur mode de vie.



Départ début Septembre


Septembre approche. David m’a fait passer une liste très détaillée de ce que je ne peux pas me permettre d’oublier. C’est la première fois que je vois les vendeurs de ce magasin d’équipement être perdus. Je dois sûrement être en train de passer un cap : « Ils n’ont pas l’habitude, suis ma liste » me conseille mon associé. Chaussures hautes, sac de couchage grand froid, sous-vêtement en laine mérino, frontale puissante, la liste est longue. Nous n’aurons qu’un appui logistique léger et dépendant des conditions météorologiques. Il faut être le plus autonome possible. J’insiste auprès des participants : une fois dans la forêt sibérienne, ce sera comme dans la jungle des Cardamomes, pas de stop shopping ni le temps de découvrir son matériel. Tout le monde doit être prêt et l’équipement de chacun testé avant de monter dans l’avion.

De son côté, David termine la logistique et le parcours de l’expédition avec notre contact Nikolay à Lystvianka. Ce sera un parcours de 5 jours en pleine taïga à travers le parc national du lac Baïkal. -Lystvianka to Nikola to Bolshiye Koty to Baylkal’Skaya Tropa to Lystvianka- Il faudra prendre soin des chevaux : certains passages sont trés glissants, surtout avant l’arrivée des premières neiges. Cela implique de marcher sur de courtes distances, garder le rythme lors des dénivelés et de bien gérer ses efforts, parce que même une fois arrivés au point de bivouac, il faut déséquiper les chevaux, les nourrir, s’installer, se préparer pour le lendemain et faire le point sur les distances parcourues durant la journée.

Tout le monde est très excité, impatient de vivre la Russie rurale et ses interminables steppes. Nous nous sommes beaucoup préparés pour cette expédition : musculation, course à pied, natation, escalade ... Le rythme des entraînements a été soutenu, avec bien entendu une séance hebdomadaire d’équitation pour confirmer nos acquis. Nous fonctionnerons par binôme une fois sur place. A travers la taïga, David ouvrira la voie avec son homologue russe, et je fermerai dans la même configuration. David est un cavalier instinctif, il galope à cru depuis l’âge de 10 ans dans les gorges de l’Hérault, là où il a grandi. J’ai une pratique plus académique pour ma part, mais je sens que cela ne va pas durer longtemps au grand galop au bord du lac.

Entre nous, l’équipe C4 accueillera Caroline, Fabien et Dao, trois quadragénaires enthousiastes et habitués à suivre David dans les jungles tropicales ; puis Aude, nouvelle aventurière qui a déjà fatigué quelques sacs en Europe et en Asie.

Nous envoyons nos dernières recommandations à Caroline, Fabien, Dao et Aude. Nous enregistrons nos bagages au départ de Phnom Penh. Je suis en tee-shirt, escalator, immigration, Terminal 2 ; je croque dans un dernier morceau de mangue séchée, le reste ce sera pour la taïga. C4 embarque, température extérieure, 28 degrés.


5 jours, 4 nuits


Mes yeux n’arrivent pas à quitter le hublot. Le spectacle est saisissant. Je suis en train de survoler les steppes mongoles. Je contemple des millions d’années d’activité terrestre. J’essaie de deviner les routes, imaginant les centaines de milliers de voyageurs qui ont traversé ces reliefs infinis.


Notre vol s’approche d’Irkoutsk. Nous atterrissons. A la sortie de l’avion, l’accueil est fidèle à l’image qu’on se fait des Russes : froid, sec et expéditif. Après les douanes, je regarde un maigre tapis roulant distribuer les bagages des voyageurs. David me dit : « Ça ne sent pas bon. J’espère que tu as l’essentiel pour partir avec toi ». Nos bagages ne sont pas là. Personne ne parle anglais. On me fait comprendre de revenir demain. Après quelques jours sans bagages, nous nous faisons à l’idée que nous n’aurons pas notre équipement à temps.

Nous arrivons avec les participants à Lystvianka. Nos chevaux sont puissants, désireux de partir, magnifiques. Une pluie fine et froide accompagne nos derniers préparatifs. Je profite des derniers instants de wifi. David est déjà prêt à partir. L’Afrique est loin à présent. L’Asie aussi. La Sibérie est là. Les chevaux sont équipés, le matériel distribué, les passe-montagnes vissés à nos cous. Départ groupé, j’ajuste encore un peu les guêtres que j’ai empruntées ; mes lentilles sont restées dans mon bagage en soute, sûrement toujours en transit quelque part. Les chevaux s’élancent, plus rien ne compte que les cinq prochains jours que nous nous apprêtons à vivre ensemble.


L’air siffle entre les arbres. Nous avons quitté le monde des hommes. Les chevaux doutent encore de nous. Ils nous testent. La confiance va s’installer, encore quelques kilomètres avant de se comprendre. Devant moi, Aude est au paradis. Le ciel est épais, les arbres hauts, la brume joue avec nous ; nous restons groupés. Fabien peine un peu à ajuster ses étriers. David est devant avec Nikolay son binôme : ils parlent en montrant du doigt. Encore quelques kilomètres avant de se comprendre.


Nous faisons une rapide pause, je fais un peu plus connaissance avec Anastasia, ma binôme. Elle parle très bien anglais. C’est une cavalière jeune, passionnée et ambitieuse. Je n’ai pas encore gagné sa confiance. Je ne joue pas à domicile. Nous avalons encore quelques tranches de saucisson local avant de remonter à cheval. Après quelques heures, le binôme de tête fait passer l’information que le point de bivouac n’est plus très loin.


Jour 1, adaptation au climat subarctique OK, Listvyanka est derrière nous, le lac Baïkal est partout.


« JB, réveil. », je cherche la sortie de mon sac de couchage. David ouvre la tente, prêt à continuer la traversée. Dehors, Aude essaye de traverser la rivière qui borde notre campement à l’aide d’un tronc de sapin qui s’est effondré entre les deux rives. Nikolay et Anastasia nous proposent un petit déjeuner de toundra. C’est le même menu que les chevaux, sauf que pour nous il y a du lait, du beurre et du sucre en plus. Dao sort ses nouilles instantanées. Tout le monde le regarde, les Russes arrêtent de manger. Moi je sais que demain, je troquerai un sachet de mangues séchées pour un paquet de nouilles, mais pas aujourd’hui. Notre équipe a encore quelques kilomètres à faire pour gagner la confiance de nos bînomes, alors faisons honneur au petit déjeuner.


La journée est déjà bien avancée, les chevaux répondent bien à nos instructions et les deux équipes font corps. Nous sommes au diapason. Première pause casse-croûte. C’est fou, il est 10h du matin et j’ai faim, très faim. Pourtant, le pudding a été long à avaler, le genre de plat traditionnel qui tient bien plus qu’au corps, il tient au cheval. Ça doit être la base de millet. Alors, Nikolay sort de nouveau le saucisson, me regarde dans les yeux, puis sort une fiole de vodka : « Le froid c’est dans la tête » me traduit ma binôme. Allons, va pour une gorgée.

La fin d’après-midi est proche. Nous avons beaucoup avancé. Je discute avec Anastasia. De loin, je vois David et Nikolay remonter vers nous en trot léger. Les chevaux ont donné le signal. Nikolay nous explique - il n’est pas sûr - qu'il s'agit peut-être d'un ours brun ; David me demande de regrouper la colonne. Changement de direction, nous allons rejoindre notre bivouac par l’Ouest.


Autour du feu, nos homologues nous expliquent que la navigation par cheval dans cette zone reste le moyen de transport le plus adapté, avec celui des chiens de traîneaux durant l’hiver. David échange longuement avec notre équipe : il veut être sûr que tout le monde se sente d’attaque pour demain, et qu’il n’y ait aucune douleur ni blessure. Fabien se lève, pose sa gamelle et va se tartiner de « Chamois butt’r » ; sa selle est un peu dure. A demain, Fabien.


Jour 3 : nous sommes en immersion totale, nos chevaux sont en pleine forme, les vêtements sécheront toute la nuit autour du feu.


« Strong, strong ! », Anastasia me demande d’être plus sec dans mes mouvements avec mon cheval. Rien n’est jamais gagné avec l’animal. Sous la canopée de la forêt boréale, je lave Mirage dans une rivière glacée, à deux pas de notre campement. Ce jeune mâle qui ne vit que pour courir. Je dois être plus directif, toujours, sans relâche.


Le parcours d’aujourd’hui comprend beaucoup de dénivelés positifs. Plus nous prenons de l’altitude, plus le brouillard nous entoure pour ne laisser que des silhouettes. Nous décidons de descendre de cheval. Le sentier emprunté est boueux, rocailleux, trop imprévisible. Le risque de chute est trop grand, l’animal peut perdre l’équilibre et nous emporter. Personne n’a envie de se retrouver au sol, une jambe sous un ventre de 400kg. Nous avançons côtes à côtes - au sens littéral - . Je dois pouvoir prévenir la chute et éviter tout accident. En pleine taïga, une petite entorse peut vite pénaliser le groupe. Le moment est particulier et fort pour chacun d'entre nous. La visibilité est faible, les esprits concentrés, la communication est réduite. Mes jambes se réchauffent, la transpiration de Mirage s’évapore, son rythme de marche est soutenu ; il n’y a plus de rapport de domination, seulement deux mammifères qui progressent lentement vers la prochaine clairière. Et puis un bruit de moteur, lourd, laborieux, puissant, se fait entendre. Un camion se rapproche, venu de nulle part. Il s’arrête à l'orée de la clairière, nous salue, nous demande si tout va bien, puis repart.


L’air frais du lac Baïkal siffle toujours près de nous. Les chevaux commencent a être fatigués. Nous apercevons la fin de notre étape. David me fait signe, il pointe du doigt les cabines en rondins. C’est la récompense. La fatigue se lit sur les visages, mais l’espoir d’une nuit au chaud et au sec dessine de larges sourires sous les passe-montagnes.


Chaque cabine a son poêle. Dao me regarde, il va falloir couper du bois : « C’est l’occasion de se réchauffer ». Dao voit toujours le bon côté des choses ; moi, je vois encore trois sachets de nouilles instantanées dans son sac à dos. David répartit les tâches par binômes : faire un repérage rapide de la zone, déséquiper les chevaux, s’installer, préparer le dîner. Je pars avec Aude dans les environs. A 300 mètres de nos cabines se trouve le lac Baïkal et son immensité. Il y a un ponton, et un chemin vers le village le plus proche. Non loin de là, nous trouvons une cabane ; j’ouvre, j’ai trouvé les toilettes.


Plus un bruit, seuls des coups de cuillères au fond des assiettes. Les mots seront pour le digestif traditionnel. En mâchant, dans mes pensées, mon regard balaye la grande cabine et son énorme poêle : « Tiens, pas de poupées russes ». Nikolay se tourne vers moi avec un shot de vodka : « Alors ? Tu as trouvé la cabine des toilettes ? Tout le monde, écoutez-moi bien, personne ne va aux toilettes en petite culotte dans la nuit. On s’équipe grand froid, même pour un pipi ». Anastasia explique à Caroline que, chaque année, les chasseurs retrouvent au moins un imbécile congelé en bottes et en caleçon, en position foetale sous un sapin, à 20m de sa cabine. Anastasia termine. La nuit, tous les sapins se ressemblent, il est très facile de se perdre.


David fait un dernier briefing sur la journée à venir. En sortant pour rejoindre nos cabines, il neige.


Jour 4, des chevaux et des hommes, l’hiver sibérien pointe son nez, tout le monde s’effondre de sommeil pendant que les premiers flocons des premières neiges recouvrent le Grand Nord sauvage.


Le lac Baïkal, long, loin, interminable, imperturbable, majestueux. Les chevaux sont au pas. A l’horizon, Tankhoy, ses montagnes, puis la Mongolie. On se retourne l’un vers l’autre, les regards se croisent, la récompense durera toute la matinée. Anastasia et Nikolay se redressent sur leurs chevaux, comme au garde à vous : « Pour nous, les Sibériens, le lac est un membre de notre famille, le lac nous donne beaucoup, alors nous lui devons beaucoup, à commencer par le respect ». Nikolay est presque mystique, Anastasia n’a pas besoin de traduire.


Les 8 cavaliers entrent dans le village de Bolshiye Koty. Je me prends au jeu. J’ai vu trop de films pour ne pas vivre ce moment comme dans un western de Sergio Leone. Nous attachons nos chevaux dans une étable. Nous sommes dans une ancienne colonie minière du milieu du 19e siècle. La ruée vers l’or a laissé place à un village reculé de vieux loups solitaires, une étape pour voyageurs, une église, une épicerie et quelques étudiants en biologie-météorologie. Nous entrons dans une datcha. L’accueil est russe. Fabien me glisse : « Avec de la vodka, ça ira mieux », Aude rigole. David brise la glace. La propriétaire nous montre les lieux : c’est moins spartiate que les cabines en bois, mais ça reste la Sibérie. Nikolay s’approche de David, qui se retourne : « On refait un briefing toilettes ? », Nikolay sourit et, la main gauche pleine d’un énorme bouquet de branches de sapin, répond : « Non, bania. ».


Nus sous nos serviettes, nous devons choisir un chapeau : « Pour ne pas attraper froid » précise Nikolay. David s’exécute et lance le mouvement malgré l’hésitation de tous : « Moi, à la Légion, j’ai toujours fait comme on me disait de faire, mais en mieux. C’est comme ça que je suis arrivé premier partout, sauf que je suis arrivé 2eme parce que je n’étais pas encore majeur à l’époque ». David choisit donc le bonnet le plus moche, celui en forme d’éléphant avec la trompe qui tombe sur le front. Nous entrons dans une antichambre. Nikolay nous regarde : « Normalement, ce n’est pas une activité mixte, mais entre frères, pas de manières ». Il ouvre la seconde porte. Une épaisse vapeur chaude s’échappe. Je me tiens fort à ma serviette. David me montre du doigt le poêle en brique, Nikolay acquiesce. Tout le monde a compris qu’il ne fallait pas trop s’approcher. La température oscille entre 65°C et 120°C. La tradition veut que l’on se fouette vigoureusement avec des branches séchées de bouleau ou de chêne pour s’asperger d’eau. Nikolay explique que cela a pour rôle de nettoyer et assouplir la peau, d’activer la sudation et la circulation du sang, tout en dégageant un agréable parfum. Je commence à divaguer. Je suis dans un bania en pleine sibérie, mon associé porte un bonnet éléphant, il fait 100°C ; c’est bientôt mon tour de masser Dao : « C’est l’occasion de se réchauffer »... Pas vraiment non. Nikolay ouvre la porte de la pièce : « Dehors ! ».


Dehors, il fait terminé -20°C, et je dois plonger ma tête dans un sceau d’eau glacée. Heureusement que les premières neiges de Septembre sont restées dans les montagnes et que le lac est trop loin pour y retourner en courant. Nikolay continue : « 3 fois, tous ». Je m’effondre, vidé dans une salle de repos juste à côté. Je porte un bonnet en forme d’ours, ses pattes tombent sur mes yeux ; quelqu’un me tend un thé ... ah ben non, ce n’était pas un thé.

Jour 4, je veux devenir russe, le dîner a vu naître une fraternité. Anastasia n’a jamais vu Nikolay autant boire et manger de cornichons.


« Réveil ! », David sonne le départ. Je refais l’inventaire de mon équipement. Le ravitaillement est terminé. Il faut partir. Nous devons faire 18km pour rejoindre Listvyanka en longeant le lac sur sa face Ouest. Le sentier que nous devons emprunter est accidenté, un peu comme moi hier en allant me coucher. Mirage est prêt, je refais le parcours une dernière fois avec Anastasia. Nous allons fermer la voie, comme d’habitude. Je lève la tête vers les montagnes, il va encore neiger, il va falloir rester concentré.


Nikolay et David ouvrent. La colonne avance. A l’entrée d’une clairière, un galop est lancé. Un dernier shot de liberté : Mirage s’élance, je lui fais confiance. Je suis seul au monde, Fabien aussi je crois, je l’entends crier derrière moi. Caroline et Dao ont préféré un petit trot. Aude veut déménager en Sibérie. Je profite, inspire, je sais que ce soir je serai de retour à Irskoustk.


L’horizon m’est familier. David et Nikolay ne se quittent plus. Anastasia descend de cheval, nous sommes arrivés au ranch. Nous avons tous du mal a réaliser que c’est fini. Derrière le bâtiment principal, 80 chiens aboient à s’en déchirer la gorge.


Jour 5, fin du périple. Je caresse une dernière fois mon cheval Mirage. David s’approche de moi : « Tu as déjà traversé le lac Baïkal en chien de traîneau ? »




Frères


Nous ne sommes pas devenus amis avec nos homologues russes, nous sommes devenus frères, car les rapports ne sont pas amicaux dans la taïga, mais fraternels. Nikolay et ses équipiers n’ont pas cherché à construire une relation avec nous : ils nous ont testés, ils ont poussé nos limites, ont cherché la faille jusqu’à trouver des frères, des hommes sur qui ils peuvent compter.


David et moi sommes littéralement tombés amoureux d’une culture brute, silencieuse et intraitable. Nous avons rencontré des hommes libres à chaque instant, fiers de leur héritage et soucieux de l’accueil qu'ils nous offrait.


La liberté n’a jamais été si grande, si forte, si présente. Sur le dos d’un cheval au galop dans le grand Est sibérien, plus rien ne compte, tout nous appartient. Le superflu s’évapore, les illusions du quotidien sont remplacées par le réel et notre rapport à la Terre.

Je repense souvent à ce Russe que j’ai rencontré avant mon retour pour Phnom Penh, à qui je demandais pourquoi il n’y avait pas de cafés sympathiques dans Irkoustk : « Les cafés pour c’est pour les feignants de capitalistes ! Nous, en Sibérie, pas le temps de traîner ; l’hiver dure 9 mois et quand l’été vient, on attend l’hiver ».


Chaque terrain a ses règles. La taïga ne pardonne pas et forge des hommes à son image. L’amitié se construit, s’entretient, se développe ou se perd. Nikolay ne parlait pas anglais. David ne parle toujours pas russe. Cette échappée sibérienne nous a imposé la fraternité, celle qui dépasse les codes culturels, les destins et les préjugés. La fraternité est instinctive, immédiate, viscérale. Le monde des hommes enseigne les valeurs de l’amitié, la nature impose la fraternité.

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